En matière de grandes infrastructures de transports en commun, forcément coûteuses en argent public, le citoyen contribuable pourrait espérer que les choix soient dictés par des éléments objectifs et servent des politiques publiques cohérentes. Il arrive cependant que cela ne soit pas le cas…

C’est ainsi que les habitants du Grand Lyon  – mais en fait surtout les Lyonnais – ont vu apparaître à la fin de la campagne pour les élections municipales de 2014 la soudaine impérieuse nécessité de construire une nouvelle ligne de métro en direction de l’ouest lyonnais.

Les études de faisabilité de cette ligne E étant terminées,  la commission nationale du débat public vient de lancer la phase de concertation préalable. C’est dans ce cadre que je me permets ces quelques réflexions.

Le dossier de présentation de cette nouvelle ligne fait état de 60 000 voyages par jour, essentiellement des déplacements pendulaires domicile-travail. Cet équipement répondra donc à la demande d’environ 30 000 habitants, nombre significativement inférieur de celui des salariés travaillant dans la vallée de la chimie et le sud-est de l’agglomération.

Ces grands-lyonnais, eux aussi, attendent depuis de nombreuses années une desserte structurante en transport en commun.

Le PDU comme le  PLU-H prochainement voté par le conseil de la métropole prévoient d’ailleurs explicitement la ligne A8 devant relier entre elles les communes de première couronne (Saint-Fons, Vénissieux, Bron, Vaulx-en-Velin), ligne qui devrait s’articuler avec des axes radiaux ferroviaires.

Comment ne pas craindre que ce projet ne soit reporté au delà de 2030 ? Le coût de la ligne E (1,3 Milliards d’euros annoncés) va en effet largement obérer les capacités d’investissement du Sytral pendant de longues années (deux mandats ?). Les habitants du sud et de l’est de l’agglomération, là où se développent principalement l’activité et l’urbanisme, ont besoin eux aussi d’infrastructures de mobilité. Mais que ce soient les Saint-Foniards, les Vénissians ou même les Vaudais qui espèrent être reliés au reste de l’agglomération par un tramway, tous devront sans doute continuer de patienter.

Il est par ailleurs surprenant que le Sytral ait opté pour un métro pour cette ligne E. De tous les types de transports en commun, le métro est de loin le plus cher au kilomètre. Certes, le dossier support à la concertation préalable explique clairement les raisons d’un tel choix. Les collines de l’ouest et l’étroitesse de de la trame viaire ne se prêteraient guère à un autre type de transport en commun. Mais ce choix a comme conséquence que la place consacrée à la voiture ne diminuera finalement pas et que celle-ci restera un terme de l’alternative à la mobilité.

Pire, la création de très grands parkings relais à chaque station de cette nouvelle ligne de métro sera une incitation à habiter toujours plus loin, et même en dehors de l’agglomération, puisque les nouveaux “commuters” auront la certitude de pouvoir accéder rapidement au cœur de l’agglomération après avoir garé leur voiture. L’optimisation “des reports modaux” (Je prends ma voiture puis un transports en commun) prévu dans le dossier de présentation est pourtant décrit par certains urbanistes comme au contraire favorisant le mitage urbain des territoires peri-urbains. La construction de cette nouvelle ligne de métro s’inscrirait donc à l’exact opposé de l’objectif inscrit dans les documents d’urbanisme de construire la ville des courts trajets.

De la même manière, des études montrent que le besoin de mobilité s’exprime de plus en plus de de manière radiale, pour aller de Décines à Saint-Priest par exemple, de banlieue à banlieue. Mais la ligne E viendrait au contraire conforter une logique concentrique rabattant au centre de l’agglomération des flux de voyageurs, saturant ainsi des équipements déjà bien chargés.

Les critiques qui peuvent être faite à l’encontre de ce projet sont donc nombreuses. Mais celles ci pourront elles être entendues par ses promoteurs ? Le conseil d’administration du Sytral qui devra décider en 2020, après les élections métropolitaines, du principe de ce très lourd investissement, s’appuiera sur les conclusions de la concertation préalable qui se déroule actuellement. Or, on ne peut qu’être frappé par la concentration géographique des réunions publiques et des lieux de présentation du projet. Seuls les habitants des territoires traversés par cette future ligne sont directement conviés à des rencontres et des débats !

Alors que la décision finale du Sytral emportera des conséquences pour l’ensemble des habitants du Grand Lyon en matière de mobilité – et de fiscalité ! -, seuls les grands-lyonnais concernés par cet improbable métro sont directement sollicités pour donner leurs avis.

Il y a là selon moi un cruel biais dans l’organisation de ce débat public.

On ne peut pas demander à une partie d’une agglomération de se prononcer sur un projet quand celui-ci emporte le destin de l’ensemble de la population de la métropole. Sans doute peut on trouver dans ce tropisme les conséquences de la gouvernance de l’autorité organisatrice des transports, le Sytral. Comment et par qui ses membres ont ils été élus ? Pourquoi de telles instances décisionnelles restent-elles aussi éloignées des habitants de la métropole ? Des questions qui invitent finalement à se réjouir à nouveau de la prochaine élection au suffrage universel direct des conseillers métropolitains en 2020.

D’ailleurs, cette campagne électorale à venir trouverait sans doute un intérêt supplémentaire si elle intégrait justement la question de la ligne E !