162 pages, 19  programmes thématiques, 5 milliards d’euros… Les propositions faites par Jean-Louis Borloo sur les banlieues pourraient sonner comme un air de déjà entendu.

Ce travail finira-t-il comme ces innombrables rapports présentés en grandes pompes et dont personne ne voit jamais les résultats tangibles sur le terrain ?

Je ne le crois pas. L’analyse et les propositions de l’ancien ministre délégué à la politique de la ville arrivent au bon moment et sont marquées du sceau du réalisme, du pragmatisme mais aussi et surtout de l’ambition.

Jean Louis Borloo dresse un tableau sévère mais exact. La situation est critique, l’exaspération immense et les risques de replis communautaires déjà avérés. Les populations vivant en banlieue sont en attente et les responsables politiques sont dans l’ensemble conscients de l’impérieuse nécessité de résultats.

Ne pas agir rapidement et efficacement n’est plus une option.

Les moyens sont par ailleurs clairement identifiés : Sanctuariser les budgets et responsabiliser les acteurs, débloquer des moyens massifs et pas seulement budgétaires, et agir globalement dans tous les domaines.

La proposition de créer un fonds spécifique doté de 5 milliards d’euro et de le mettre à l’abri de ce qu’on appelle pudiquement les “aléas budgétairesest par exemple une nécessité absolue. Peu importe les sources de financement – cession des participations de l’Etat, affectation d’une partie des ressources d’Action logement – l’essentiel est de garantir à la politique pour les banlieues et à son bras armé l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) des moyens pérennes.

Responsabiliser ensuite. La politique de la ville s’enorgueillit de ses incroyables tours de tables. Pour une action, il y a parfois six ou sept co-financeurs ! La ville fait un peu, le département fait un peu, l’agglomération fait un peu, la région fait un peu, l’Etat fait un peu… mais au final il est impossible de trouver un responsable politique qui le soit vraiment !

Et les interminables demandes, dossiers, compte-rendus s’empilent et consomment un temps précieux.

Dans cette situation, c’est toujours l’administration qui gagne.

La proposition de ré-introduire de la responsabilité politique et de fertiliser notre administration par des nouveaux talents me semble elle aussi plus que pertinente.

Mais surtout, je lis dans les propositions de Jean Louis Borloo la volonté d’un nécessaire rééquilibrage entre l’urbain et l’humain.

Il n’est pas possible de se satisfaire de la rénovation urbaine si on épuise par ailleurs tous les acteurs qui tentent de faire vivre ensemble des populations appauvries et reléguées.

Il n’est pas acceptable de financer des espaces publics toujours plus onéreux si dans le même mouvement on n’offre pas aux habitants de ces quartiers le même niveau de service public que celui des villes centres.

On ne peut pas “vivre ensemble, vivre en grand, et œuvrer pour une réconciliation nationale– pour reprendre le titre du rapport de Jean Louis Borloo – si les responsables publics ne décident pas une bonne fois pour toute de mettre à niveau dans ces quartiers l’ensemble des politiques sociales en leur consacrant des moyens supérieurs à ce qui se fait ailleurs.

Ce n’est que lorsque les parents seront convaincus que leurs enfants auront des professeurs aussi bien formés et en nombre suffisant en regard de la ville centre qu’ils ne tenteront plus d’échapper à leur quartier.

Ce n’est que lorsque l’offre de culture, de sport ou de loisirs seront identiques des deux côtés des boulevards périphériques que les jeunes des quartiers ne se sentiront plus exclus.

Ce n’est que lorsque les jeunes diplômés auront la certitude d’avoir les même chances d’être embauchés qu’ils ne cacheront plus le nom de la commune dans laquelle ils habitent.

Car aussi effrayant que cela puisse paraître, 40 ans après le lancement de la politique de la ville, les moyens ne sont toujours pas à niveau.

On a beaucoup déconstruit, beaucoup reconstruit, mais pas fait suffisamment pour qu’enfants, jeunes et familles vivent ensemble et s’épanouissent.

Le rapport Borloo a le courage d’appuyer là où cela fait mal : La République a failli et, tous gouvernements confondus, elle n’a pas déployé les efforts nécessaires pour enrayer un processus de ghettoïsation et d’apartheid.

Car si ces mots ne font désormais plus peur, il importe aujourd’hui d’agir et de ne pas inutilement mégoter dans les véritables investissements d’avenir : l’éducation et le tissu associatif sont évidemment de ceux-là au premier rang.

En remettant l’école et le collège au cœur d’une entreprise globale d’éducation, en y intégrant des dimensions sociales et culturelles pour former une « cité éducative », Jean Louis Borloo affirme la primauté de l’éducation pour construire une société apaisée et solidaire.

En désignant comme une “nouvelle armée de la République solidaireles 35 000 professionnels de l’action sociale dans les quartiers de la politique de la ville et en proposant de revaloriser leur rôle et leur statut, l’ancien ministre reconnaît que l’action publique est irremplaçable pour panser les plaies de plus d’un demi siècle de relégation.

Enfin, en reconnaissant le rôle primordial des 100 000 associations et du million de bénévoles présents dans les quartiers et en proposant de faciliter leur financement afin qu’elles puissent œuvrer dans la durée, ce rapport identifie clairement un moyen rapide et efficace d’améliorer la situation de millions d’habitants.

Depuis 2012, je suis le député d’une circonscription qui compte parmi ses communes Vénissieux et son quartier des Minguettes d’où sont parties les émeutes à l’origine de la politique de la ville.

Il serait mensonger de nier tout le travail réalisé. Mais il serait tout aussi faux de se satisfaire de la situation actuelle.

Il est aujourd’hui possible de réellement changer la donne ; il est aujourd’hui possible de renverser la situation et d’en finir avec la relégation, la concentration et le désespoir. La reprise économique, les améliorations constatées sur le front de l’emploi peuvent aider, elles ne suffiront pas.

Il est aujourd’hui possible d’agir, pour peu que le gouvernement tire toutes les conclusions de ce rapport et mette les moyens nécessaires et durables pour ne plus désespérer ces quartiers de la République.

J’espère trois mots du Président : Banco Jean-Louis  !