Le début de l’examen du projet de loi Sapin 2 est l’occasion pour les cyber-militants de se mobiliser à nouveau.

Comme les 576 autres députés de l’Assemblée je commence à être destinataire de dizaines d’emails et de tweets m’enjoignant de voter pour telle ou telle article de la Loi.

Cette mobilisation en ligne est possible grâce à des plateformes internet qui permettent à chaque internaute de contacter son député par mail, sur Twitter et même par téléphone.

Parmi ces plateformes,  lobbycitoyen.fr ne fait pas dans la dentelle…

Se présentant donc comme le “lobby des citoyens”, affirmant défendre “les intérêts des peuples contre tous les groupes de pression” – et notamment contre le “lobby du gouvernement” (sic!), cette plateforme propose des messages types et percutants :

“mobilisez-vs contre l’évasion fiscale, votez #ReportingPublic TOUS pays sans exception”

Le tout est assorti d’une phrase qui cache mal la menace :

“Les prochaines élections sont dans 1 an. Nous nous souviendrons de votre vote en 2017”

tweet

Je conçois que la contrainte des 140 caractères de twitter impose des choix dans l’expression.

Je comprends aussi que chaque citoyen n’a pas forcément le temps de lire les 57 articles du projet de loi – cela fait quand même  36 150 mots en comptant l’exposé de motifs – et que l’on puisse s’en remettre à l’intermédiation de partis ou de “groupes citoyens”.

Je suis d’ailleurs tout à fait favorable à la mobilisation citoyenne et à l’utilisation des moyens de communication numériques…

Je suis même touché par le fait que certains puissent dans un an se souvenir de mes votes à l’assemblée, l’abstention lors des derniers scrutins me faisant plutôt penser que la majorité des citoyens oublient jusqu’à l’existence de leurs représentants…

Mais je m’interroge quand même…

Quand on arrive à parler du “lobby du gouvernement”, quand on considère légitime de menacer un député de ne pas voter pour lui, quand on exige de sa part de voter tel amendement, n’a t on pas franchi définitivement une étape ?

N’a t on pas tout simplement oublié que dans notre démocratie représentative, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».  (article 3 de notre constitution)

N’a t on pas oublié que « tout mandat impératif est nul » et que « le droit de vote des membres du Parlement est personnel » (article 27) ?

Ne cherche t on pas à me transformer en machine à voter, activable à distance par des mobilisations d’internautes ?

Ce n’est pas l’idée que je me fais d’un représentant de la nation, élu, comme le rappelle Condorcet, “pour défendre ses propres opinions”.

Je ne sais pas encore ce que je voterai parmi les amendements qui sont en cours de discussion. Nous discutons en ce moment au sein de notre groupe politique de ce projet de loi et il y aura naturellement des débats.

Mais ce dont je suis certain, c’est que je voterai en conscience, bien loin de la crainte de ne pas bénéficier de la voix de tous ceux qui m’auront écrit via lobbycitoyen.fr,  bien loin des pressions, bien loin des lobby, quels qu’ils soient.

***

PS : pour les personnes qui m’ont interpellé sur cette question, voici des éléments factuels de réponses

Depuis 2012, la lutte contre la fraude fiscale est une des priorités du gouvernement et des députés de la majorité.  

Plus d’une soixantaine de mesures ont été adoptées pour renforcer la supervision des banques, les moyens de détections des fraudes et d’alourdir les peines.

Par exemple :

  • Désormais, l’Etat peut taxer à 60% les avoirs qu’un contribuable aura déposés sur un compte à l’étranger sans être en mesure de rétablir leur traçabilité.
  • La charge de la preuve s’agissant du transfert de bénéfices à des filiales est désormais inversée : ce n’est plus à l’administration fiscale de prouver que le transfert a une motivation de fraude fiscale, mais à l’entreprise d’apporter la démonstration des raisons pour lesquelles elle a procédé à ce transfert.
  • La loi de séparation et de régulation des activités bancaires impose aux banques d’indiquer à Tracfin tous les mouvements qui pourraient révéler des fraudes fiscales, et de signaler la totalité de l’activité de leurs filiales à l’étranger.
  • Grâce à l’action des députés de la majorité, la France est devenu le premier grand Etat à appliquer à la lettre l’accord BEPS (Erosion des bases taxables et transfert de bénéfices) de l’OCDE. Cet accord est l’aboutissement de négociations au sein desquelles la France a joué un rôle majeur.
  • Nous avons adopté la définition des lanceurs d’alerte et les protections dont ils doivent légitimement bénéficier.

La question du reporting appliqué à tous les pays est le sujet qui mobilise aujourd’hui une partie de l’opinion publique.

Il s’agit de savoir si la loi doit obliger les multinationales à rendre publiques des informations comptables précises sur leurs activités dans TOUS les pays où elles sont présentes.
Pour certains cela serait indispensable pour savoir si les impôts qu’elles paient correspondent à leurs activités économiques réelles.

D’autres répondent qu’il faut attendre l’adoption d’une directive européenne, actuellement en cours de discussion pour éviter une censure du Conseil Constitutionnel qui pourrait considérer que la publicité de ce reporting est contraire à la liberté d’entreprendre.

Le débat est en cours sur les moyens et le calendrier, mais pas sur l’objectif.