L’actualité de l’union européenne a du mal à passionner les européens, blasés qu’ils sont des innombrables “réunions de la dernière chance” de comités “théodule” auxquels ils ne comprennent rien.

Pourtant, l’annonce, vendredi 26 juin, par le premier ministre grec d’un référendum suivi de la rupture des négociations entre Athènes et ses créanciers a dramatisé la situation, faisant presque passer au second plan une autre actualité dramatique.

Qui a tort, qui a raison ? L’horrible “hydre européo-libéral” constituée d’une troika ou les “dangereux gauchistes grecs” ? Difficile de se faire une idée de manière sereine et autonome tant les questions sont minées de considérations techniques et idéologiques.

Il devrait cependant être possible d’énoncer un certain nombres de faits  :

  • La Grèce est endettée plus qu’il n’est supportable et depuis des décennies, aucun de ses dirigeants n’a eu le courage de moderniser son Etat, ni de faire les réformes nécessaires à une collecte efficace et équitable de l’impôt.

 

  • L’union européenne s’est fixé collectivement – et démocratiquement – des règles budgétaires que ses états membres tentent de respecter. Pour y parvenir la plupart des pays ont du procéder à des réformes structurelles parfois socialement douloureuses.

 

  • En situation de récession comme l’est actuellement la Grèce, des mesures d’austérité trop sévères risquent de “tuer le malade” et il convient donc de les calibrer au plus juste.

 

Tels étaient les termes du débat qui se présentait aux prêteurs (union européenne, BCE et FMI) et aux nouveaux dirigeants grecs élus il y a 6 mois. Une équation certes compliquée à résoudre, mais quel responsable politique n’a jamais été confronté à ce type de difficultés ? Nos démocraties sont des machines à trouver des solutions à des problèmes complexes grâce à la délibération et au compromis. L’union européenne ajoute peut être une couche de complexité, mais l’histoire à jusqu’à présent montré qu’il était toujours possible d’aboutir à un compromis satisfaisant pour toutes les parties.

Et dans le cadre de ces discussions, tout est permis. On peut tenter des alliances, des contres alliances, on peut influencer l’opinion publique. On peut rappeler que Mario Draghi est un ancien de chez Goldman Sachs, que Junker a gouverné le Luxembourg pendant de longues années. On peut aussi glisser que les armateurs et l’église orthodoxe grecs sont bien protégés, souligner que les slovènes ou les slovaques ont fait des réformes structurelles aussi difficiles… Bref, on négocie, on ne s’épargne pas, mais  comme dans chaque négociation, chacun sait que personne ne peut emporter une  victoire absolue.

Mais Vendredi dernier, alors que la Grèce et ses partenaires étaient “à quelques centimètres d’un accord”, les Grecs ont quitté la table des négociations arguant du fait qu’il fallait s’en remettre directement au peuple.

Présentée comme une victoire de la démocratie contre la troïka, cette décision n’est tout simplement pas acceptable.

  • Pas acceptable d’abord parce qu’elle rejette les règles que se sont données les pays membres de l’union. Leurs représentants librement élus ont reçu mandat pour discuter au nom de leurs peuples. J’aspire personnellement à de véritables élections européennes où le principe “un homme, une voix” serait mis en oeuvre, même si je sais que celui-ci réduira considérablement l’influence des pays les moins peuplés. Mais ce n’est pas le cadre dans lequel nous sommes aujourd’hui et il est donc vain de vouloir opposer la légitimité du peuple grec à celles des gouvernants européens.

 

  • Pas acceptable ensuite parce qu’elle instrumentalise un moyen de la démocratie. Que penser d’un référendum organisé en une semaine (!) dont on ignore encore aujourd’hui (lundi 29 juin) la question. Le premier ministre grec appelle le peuple grec à dire “un grand non à l’ultimatum mais en même temps un grand oui à l’Europe de la solidarité ». Comprenne qui pourra…

 

  • Pas acceptable non plus  parce que cette décision laisse accroire que le remboursement des dettes n’est qu’une question de rapport de forces politiques. Le jeune premier ministre grec vit pourtant au XXI° siècle. Il devrait savoir que dans un monde globalisé, la souveraineté d’un état est une notion qui a tendance à se relativiser… Bien sûr, les créanciers de la Grèce devront sans doute tirer un trait sur une partie de leurs prêts, mais considérer que l’ensemble de la dette est illégitime est tout sauf raisonnable.

 

  • Pas acceptable enfin parce que dans ce bras de fer, Alexis Tsipras joue tout simplement avec l’avenir de l’Europe. On peut – on doit – se montrer critique avec la construction européenne telle que nous la connaissons ; condamner ses lourdeurs, regretter son manque de démocratie, désespérer de sa bureaucratie… Mais on ne doit pas oublier qu’il s’agit avant tout d’un fait historique unique : la construction d’un espace de paix, de liberté et de prospérité  comme il n’en n’a jamais existé auparavant. Mettre en jeu une telle réalité pour gagner quelques millions d’euros de dette n’est tout simplement pas responsable.

 

L’hubris est une notion grecque que l’on peut traduire par démesure. C’est un sentiment violent inspiré par les passions, et plus particulièrement par l’orgueil et la fierté. Les Grecs anciens lui opposaient la tempérance, et la modération.

Espérons que ces deux dernières qualités puissent rapidement à nouveau gagner les gouvernants  grecs.

Pour le salut de leur pays, et pour celui de l’Europe.